Dans les textes antiques, on trouve des mentions relatives à la lavande. Le De materia medica de Dioscoride évoque une lavande, mais il s’agit de la stoechade, que l’on retrouve un peu plus tard dans les Argonautiques orphiques, un texte anonyme du IIIe siècle ap. J.-C. En réalité, l’importance thérapeutique que nous accordons aujourd’hui aux lavandes fine et aspic est équivalente à celle qui fut allouée par les Anciens à la stoechade, laquelle est, depuis le temps, tombée dans un relatif oubli.
C’est sans doute pour cela que les très anciennes sources n’évoquent presque jamais les deux premières, ou, peut-être, sous le nom de nardus tel que Pline le rapporte. On connaît quelques usages antiques de la lavande, quand bien même on ne sait pas vraiment de laquelle il s’agit (cela procède d’une confusion pour le moins égale à celle d’un néophyte qui aurait du mal à distinguer entre eux les différents lavandins et qui, par simplicité, leur accorderait le nom générique de « lavande »).
On nous apprend que la lavande était brûlée dans les chambres où séjournaient les malades. De même, elle parfumait l’eau des bains chez les Romains qui bénéficiaient, dans le même temps, des vertus cutanées de la lavande. Purification et assainissement sont deux caractéristiques inscrites dans le nom même de la lavande. En effet, son nom latin – lavandula – est issu du latin lavare, signifiant tout simplement laver. À ce sujet, peut-être connaissez-vous les lavandières ou chanteuses de la nuit, des spectres de femmes condamnés à laver éternellement leur linceul au clair de lune, dans des fontaines égarées, et dont l’action principale, par analogie, est de laver leur propre pêcher.
Il est aisé de comprendre les vertus purificatrices de la lavande, d’autant plus appuyées qu’on a longtemps considéré les plantes à odeur comme capable d’éloigner les miasmes et les parasites. C’est ainsi qu’on procédait, au XVIIIe siècle encore : par fumigation de lavande et d’autres aromatiques lors d’épidémies. Aucun hasard donc, si on la retrouve dans le vinaigre des quatre voleurs.
Cependant, la lavande, contrairement aux sauge, hysope et autre romarin, ne donne pas l’impression d’avoir été une plante dont chaque siècle aura fait une panacée. Albert le Grand en parle un peu, Hildegarde davantage : « La lavande est chaude et sèche et sa chaleur est saine. Si on fait cuire de la lavande dans du vin et qu’on en boit souvent tiède, on apaise les douleurs du foie et du poumon, ainsi que les vapeurs de la poitrine. » La lavande intervient donc sur un certain nombre de maladies. Elle écarte tant les poux que… les mauvais esprits. Hildegarde insiste particulièrement sur la question de la pureté que procure celle que, déjà, elle nomme lavendula dans le texte : l’odeur de la lavande éclaircit la vue et, grâce à elle, « on obtient une connaissance pure et un esprit pur. » Cela ne vous fait-il pas penser à un chakra ou deux ?
Au XVIe siècle, le médecin toscan Matthiole, qui semble-t-il connaissait l’huile essentielle de lavande, l’indique pour le foie, la rate et l’estomac comme antispasmodique, ainsi que dans des cas de nervosisme. Comme Lémery qui note plus tard une action de la lavande sur le cerveau et sur les nerfs, Matthiole lève le voile sur un ensemble de propriétés qui font de la lavande ce qu’elle est : un puissant antispasmodique et un régulateur du système nerveux central.
Au XVIIIe siècle, c’est le Vaucluse qui comptait les plus belles lavanderaies sauvages. On voyait alors des distillateurs ambulants se rendre sur place. Transportant leur alambic parfois à dos de mulet, ils perdurèrent jusqu’au début du XXe siècle, avant que des usines prennent peu à peu le relais.
En ce tout début de siècle, un événement majeur va faire en sorte que soit scellé le destin de l’aromathérapie grâce à l’huile essentielle de lavande. Cela se déroule à l’été 1910, à Lyon, dans le laboratoire d’un jeune ingénieur chimiste du nom de René-Maurice Gattefossé (1881-1950). Un incident survient. Une explosion brûlera la main du chimiste. Ce récit, presque légendaire, nous explique qu’il plongea par réflexe la main dans le premier récipient qu’il aurait trouvé à sa portée, le croyant rempli d’eau, mais que cela n’en était pas, bien plutôt de l’huile essentielle de lavande.
En réalité, les faits ne se sont pas déroulés ainsi. Il y a bien eu explosion et brûlure, mais cette main trempée dans un bac entier d’huile essentielle de lavande est une fausse affirmation. À la suite de sa brûlure, Gattefossé fut soigné par une médicamentation traditionnelle. Ne voyant pas de résultat, constatant qu’une gangrène s’installait, il suivit son intuition : il badigeonna d’huile essentielle de lavande ses plaies. Il n’était alors intéressé principalement que par les applications des huiles essentielles dans le domaine de la parfumerie, mais avait déjà posé quelques bases à propos de leurs vertus curatives. En ce sens, il forgera le terme « aromathérapie » en 1928 et écrira de nombreux ouvrages sur le sujet, dont le célèbre Aromathérapie – Les huiles essentielles hormones végétales en 1937 (et au sujet duquel on se demande ce que les éditeurs attendent pour le réimprimer…).
Malgré les différents travaux de Gattefossé, dans les années 1940, la lavande continue d’intéresser davantage l’industrie de la parfumerie que la « science » médicale et donc l’aromathérapie. À cette époque, son huile essentielle, que tout le monde connaît aujourd’hui, ne serait-ce que par son odeur, n’a pas encore acquis ses lettres de noblesse thérapeutiques. Mais viendront Jean Valnet, Fabrice Bardeau, Pierre Franchomme…
Distillée apparemment depuis le XIIIe siècle, sous le nom de lavandula (qui est un mot médiéval tardif), jusqu’au XVIe siècle, on ne fait aucune distinction entre lavande fine et lavande aspic. Pourtant, l’altitude aurait dû renseigner les Anciens. Si la lavande stoechade est une plante de basse altitude, on trouve la lavande aspic entre 400 et 1000 m, tandis que la lavande officinale/vraie/fine grimpe jusqu’à 1800 m. C’est autour de 800-1000 m qu’on observe une mitoyenneté entre aspic et fine, de laquelle un hybride connu sous le nom de lavandin est né grâce à l’action des abeilles.